Que recouvre l’infraction de blanchiment pour laquelle Madame Sylvia BONGO ONDIMBA a été inculpée le 29 septembre 2023 ?
1. À la suite de sa comparution devant le juge d’instruction le vendredi 29 septembre 2023, Madame Sylvia BONGO a été inculpée pour les faits de blanchiment de capitaux, recel, faux et usage de faux, faits prévus et réprimés par les articles 116, 117, 312 et 380 du Code pénal gabonais.
L’opinion publique s’interroge sur le sens de cette infraction dont le terme ne renvoie à aucune réalité triviale.
À cet effet, le blanchiment est une infraction autonome (1), dont la preuve peut être rapportée par tout moyen (2) et surtout par une présomption légale (3).
- Le blanchiment de capitaux, une infraction de conséquence autonome
2. L’opération de blanchir consiste à rendre propre quelque chose qui ne l’est pas. Concernant l’argent, il est dit « sale », trivialement, non pas parce qu’il serait plein de boue, mais parce qu’il a été acquis par des moyens illicites. Il en est ainsi de tout argent issue notamment du produit d’un vol, de la vente de stupéfiants, la vente illégale de matières premières et autres trafics.
Le blanchiment d’argent sale va donc consister à faire intégrer dans le circuit économique et financier légal, cet argent qui a une origine répréhensible. C’est pourquoi, à l’instar de l’article 324-1 du Code pénal français, les alinéas 1 et 2 de l’article 378 du Code pénal gabonais disposent que « le blanchiment des capitaux est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.
Constitue également un blanchiment le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ».
Ce texte prévoit deux principaux schémas pour caractériser l’infraction de blanchiment. Dans chacun des schémas, l’infraction de blanchiment apparaît comme la conséquence d’une infraction d’origine.
En effet, le blanchiment ne peut exister que parce qu’il y a préalablement eu commission d’un crime ou d’un délit ayant procuré des profits directs ou indirects à son auteur, dont on faciliterait la justification mensongère de leur origine dans la première hypothèse ou qu’un concours aurait été apporté pour le placement, la dissimulation ou la conversion de ce produit, dans la seconde hypothèse.
3. En dépit de ce lien congénital entre l’infraction d’origine ou infraction primaire et le blanchiment, l’absence de poursuites contre l’infraction d’origine, n’interdit pas les poursuites au titre de l’infraction de conséquence.
En effet, l’article 384 du Code pénal gabonais prévoit que les dispositions relatives à la répression du blanchiment s’appliquent alors que l’auteur de l’infraction d’origine ne serait ni poursuivi, ni condamné, ou quand bien même il manquerait une condition pour agir en justice à la suite de ladite infraction.
Il en résulte que le Législateur gabonais a souhaité faire de l’infraction de conséquence qu’est le blanchiment, une infraction autonome, qui existe per se.
Ce choix du Législateur gabonais questionne sur la caractérisation d’une infraction dont l’existence dépend d’une autre, laquelle ne doit pas impérativement être établie.
2. Sur la preuve du blanchiment
4. L’article 378 alinéa 4 du Code pénal gabonais dispose que « la connaissance de l’origine des biens ou l’intention de commettre les faits [de blanchiment] peut être établie par toute circonstance ou moyen de faits objectifs ».
Il en résulte que bien que l’infraction primaire ne puisse être établie, il est nécessaire d’établir que l’auteur du blanchiment avait connaissance de l’origine frauduleuse des fonds, qu’ils proviennent d’un délit ou d’un crime et qu’il avait l’intention de commettre le blanchiment.
Mises à part les hypothèses dans lesquelles l’opération ayant généré le produit objet du blanchiment aurait laissé des traces écrites, comment est-il possible de démontrer la connaissance d’un fait qui n’a même pas à être établi judiciairement, ainsi que l’intention de réaliser une infraction en conséquence ?
Il est tout à fait imaginable que l’autorité de poursuite rencontre des difficultés à établir cette infraction de blanchiment.
La jurisprudence de la Cour de cassation française démontre que les présomptions deviennent la preuve royale dans ces circonstances.
Ainsi, la Cour de cassation française considère-t-elle qu’il suffît, pour caractériser l’infraction de blanchiment, d’établir que son auteur avait conscience de l’origine frauduleuse des fonds et non de la nature exacte des infractions d’origine [i].
Elle considère également que le blanchiment peut être légalement caractérisé alors même que les auteurs de l’infraction principale ne sont pas connus et les circonstances de la commission de celle-ci pas entièrement déterminées[ii].
L’infraction de blanchiment devient donc une infraction primaire. En conséquence, pourrait être qualifiée de blanchiment de capitaux « toute opération suspecte à l’occasion de laquelle un individu manipule des fonds dont il ne peut justifier l’origine »[iii].
5. Dans les circonstances de Madame Sylvia BONGO ONDIMBA, il convient de s’en tenir aux éléments qui ont été rendus publics à ce jour, c’est-à-dire les importantes sommes d’argent, en espèces, retrouvées dans un bureau qui lui serait attribué.
Soit il existe des traces écrites de l’origine de ces fonds qui permettent d’en établir l’origine licite ou frauduleuse ; soit il n’y a aucune trace permettant de retracer l’origine de ces fonds, qu’elle soit licite ou frauduleuse.
Dans le premier cas, le plus simple, l’infraction sera soit écartée, soit établie.
En revanche, dans le deuxième cas, l’absence de preuve de l’origine des fonds selon la Cour de cassation française n’empêche pas de caractériser le blanchiment, dès lors que l’auteur avait conscience de l’origine frauduleuse de ces fonds. Dans ce cas, détenir plusieurs milliards en espèces à son bureau implique-t-il nécessairement une origine frauduleuse de ces fonds et la conscience de cette origine frauduleuse par le détenteur ? Détenir plusieurs milliards, en espèces, à son bureau serait-il du blanchiment, par ce seul fait ?
La preuve de la connaissance de l’origine frauduleuse des fonds et de l’intention de commettre l’infraction de blanchiment pouvant être périlleuse, le Législateur gabonais semble avoir anticipé l’impossibilité d’apporter ladite preuve, même par des circonstances ou moyens de faits objectifs, voire des présomptions.
3. La présomption légale d’illicéité de l’origine des fonds objet du blanchiment
9. L’article 384 du Code pénal gabonais précité in fine dispose que « la preuve de la licéité de l’origine des biens en cause incombe à la personne poursuivie ».
Autrement dit, même si l’instruction ne permet pas d’établir l’origine frauduleuse des fonds, ni même l’intention de commettre du blanchiment, il faudra que le mis en cause rapporte la preuve que les fonds en sa possession auraient une origine licite. La preuve de l’infraction n’incombe plus à l’accusation et surtout le doute ne profite pas à l’accusé.
Le Législateur gabonais a ainsi établi une présomption d’origine illicite des fonds, que le mis en cause devra renverser. C’est la négation du principe constitutionnel de la présomption d’innocence[iv], alors même que l’autorité de poursuites est supposée nourrir que de simples doutes à l’encontre du mis en cause et que l’instruction doit être menée à charge et à décharge[v].
En ce sens, le Législateur gabonais est allé plus loin que le Législateur français pour multiplier les chances de sanction au titre du blanchiment. En effet, à l’article 324-1-1 du Code pénal français, le Législateur a institué une présomption de blanchiment dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d’autre justification que de dissimuler l’origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus.
Initialement, la proposition des parlementaires français instituait une présomption d’illicéité de l’origine des biens ou des fonds, savoir : « Le fait de dissimuler ou de déguiser, ou d’aider à dissimuler ou à déguiser, l’origine de biens ou de revenus dont la preuve n’a pas été apportée qu’ils ne sont pas illicites ». Cette proposition adoptée par l’Assemblée nationale a été écartée par le Sénat, en ce qu’elle instituait une présomption de culpabilité.
Aussi, en l’absence d’un contrôle de constitutionnalité des lois après leur promulgation au Gabon[vi], c’est sur le fondement de l’article 384 du Code pénal gabonais que Madame Sylvia BONGO sera jugée. Il en résulte que le point de départ de l’instruction en cours a pour présupposé que les fonds, dont il est attribué la détention à Madame Sylvia BONGO ONDIMBA, ont une origine illicite. Madame Sylvia BONGO ONDIMBA, ainsi que toute autre personne poursuivie de ce chef, est donc présumée coupable d’avoir commis l’infraction de blanchiment de capitaux, jusqu’à ce que le juge la déclare innocente ou confirme sa culpabilité.
Ceci étant, quelle que soit l’origine licite ou illicite desdites sommes, la qualification ou non du blanchiment, l’administration fiscale gabonaise devra nécessairement se saisir des faits pour réclamer le paiement des droits éventuellement éludés, sans préjudice des intérêts de retard et autres majorations qui pourraient être réclamés. Il n’y a pas de « non bis in idem » entre le pénal et le fiscal.
Maître Gaëlle OBONO METOULOU
Avocate au Barreau de Paris, Past-Présidente du RIAG
[i] Cass. crim., 18 janv. 2017, n° 15-84.003.
[ii] Cass. crim., 4 déc. 2019, n° 19-82.469.
[iii] Emmanuel DREYER, « Présomption sur présomption transforme le blanchiment », note sous, Cass. crim., 4 déc. 2019, no 19-82469, Gaz. Pal 12 mai 2020, n°18, 378P0.
[iv] Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, article 9.
[v] Alain BOLLÉ, « Un dispositif destiné à faciliter la poursuite du blanchiment de capitaux », parution jeudi 16 juillet 2020, https://www.village-justice.com/articles/dispositif-destine-faciliter-poursuite-blanchiment-capitaux,36101.html.
[vi] Cette situation met en exergue la nécessité d’instaurer au Gabon une forme de contrôle de constitutionnalité a posteriori des textes, par un dispositif similaire à la question prioritaire de constitutionalité en France.