Le différend frontalier entre le Gabon et la Guinée-Equatoriale devant la Cour Internationale de Justice
Le conflit frontalier entre le Gabon et la Guinée-Equatoriale réapparu en 1972 est très ancien (lire Coquery-Vidrovitch, 1963 ; Mabire, 1989).
Il s’agit d’abord d’un conflit territorial entre puissances colonisatrices, en l’espèce entre la France et l’Espagne.
De façon brève, l’on sait que l’Espagne sort affaiblie des guerres sud-américaines d’indépendance.
Dans le même temps, ses possessions sur le continent africain sont convoitées par les autres puissances européennes, donc la France.
Ces luttes de possession territoriale entre les deux puissances vont conduire à la tenue à Paris d’une conférence diplomatique franco-espagnole, ayant pour but de procéder à l’identification des possessions de l’une et l’autre puissance dans cette partie d’Afrique.
La Convention de Paris du 27 juin 1900 va mettre un terme à cette conférence diplomatique.
La France va reconnaître à partir de cette Convention la souveraineté espagnole sur : Corisco, Elobey Chico et Elobey Grande (voir article 7 de la Convention de Paris du 27 juin 1900).
Cette convention ne mentionne ni Mbanié ni Conga ni Cocotiers. On peut donc, sans risque de se méprendre, en déduire que l’Espagne a reconnu la souveraineté française sur ces îles (pour aller plus loin, lire l’excellent article “Dynamique géopolitique maritime en Afrique centrale: Brèves réflexions sur le différend frontalier maritime entre Gabon et Guinée Équatoriale Par Patrice Moundounga Mouity, paru n Res Militaris (http://resmilitaris.net), vol.8, n°2, Summer Autumn/Été-Automne 2018).
Il se trouve que l’Espagne fera volte-face considérant Mbanié, Conga et Cocotiers comme des “dépendances” de Corisco.
Dès le départ de l’Espagne de la Guinée-Equatoriale en 1968, le Président à vie de la Guinée-Equatoriale, Don Francisco Macias OBIANG BIYOGO, prendra la même position que son colonisateur parti.
Plusieurs démarches juridiques pour maintenir des relations de “bon voisinage” entre les deux pays “frères et amis”ont été entreprises (décret gabonais n°391 du 2 août 1967 notamment), des réunions entre les deux parties se sont tenues pour trouver un modus vivendi pacifique (réunion à Bata en 1971 et à Libreville , avril-mai 1972), mais se sont soldées par un échec, non sans compter l’avènement de plusieurs incidents.
Face à cette situation chaotique, la Guinée-Equatoriale prendra l’initiative de la saisie du Conseil de Sécurité des Nations-Unies.
Afin de mettre un terme à ce différend, une convention entre le Gabon et la Guinée Équatoriale fut signée à Bata le 12 septembre 1974.
L’article 3 de cette convention est d’une limpidité cristalline, comme attribuant au Gabon l’île Mbanié.
Il dispose que “les hautes parties contractantes reconnaissent, d’une part que l’île Mbanie fait partie intégrante du territoire de la République gabonaise, et d’autre part, que les îles Elobey et l’île Corisco font partie intégrante du territoire de la République de Guinée Equatoriale”.

Mais après l’arrivée au pouvoir en 1979 de l’actuel Président de la République de Guinée Equatoriale, des tensions se sont accrues, imposant le recours à la médiation des Nations Unies.
La première médiation du Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan, conduite par le Canadien Yves Fortier débute en 2003 et prendra fin en 2006, sans succès, la Guinée-Equatoriale exigeant l’inapplication totale de la Convention de Bata du 12 septembre 1974.
La deuxième médiation du Secrétaire Général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, conduite par le Suisse Nicolas Michel s’ouvre en avril 2008.
Cette deuxième médiation était scindée en deux phase: la première devant privilégier une sortie de crise par l’amiable et la seconde, en cas d’échec de la première, consistant en la négociation d’un compromis juridictionnel préparant la saisine de la Cour Internationale de Justice (CIJ), aucune des deux Etats n’ayant souscrit à la clause facultative de juridiction obligatoire de la CIJ.
Conscient qu’aucune solution par voie de négociation ne permettra d’atteindre le résultat escompté, la première phase n’eut jamais lieu, la Guinée-Equatoriale, exigeant le passage direct à la seconde phase.
Décidées à régler leur différend frontalier de façon pacifique, les parties ont fini par conclure le compromis le 15 novembre 2016 à Marrackech, lequel est entré en vigueur en mars 2020.


Aux termes de l’article 1er du compromis, la CIJ est priée:
«de dire si les titres juridiques, traités et conventions internationales invoqués par les Parties font droit dans les relations entre la République Gabonaise et la République de Guinée Equatoriale s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga».
Il est indiqué dans le compromis que:
«[l]a République Gabonaise reconnaît comme applicables au différend la Convention spéciale sur la délimitation des possessions françaises et espagnoles dans l’Afrique Occidentale, sur la Côte du Sahara et sur la Côte du Golfe de Guinée du 27 juin 1900 (Paris) et la Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Equatoriale et du Gabon du 12 septembre 1974 (Bata)»,
et que «[l]a République de Guinée Equatoriale reconnaît comme applicable au différend la Convention spéciale sur la délimitation des possessions françaises et espagnoles dans l’Afrique Occidentale, sur la Côte du Sahara et sur la Côte du Golfe de Guinée du 27 juin 1900 (Paris)». Il y est précisé que le Gabon et la Guinée équatoriale se réservent l’un et l’autre le droit d’invoquer d’autres titres juridiques.
L’on notera dans l’article 1er du compromis que la République de Guinée Equatoriale ne reconnait comme applicable au différend que la Convention spéciale sur la délimitation des possessions françaises et espagnoles dans l’Afrique Occidentale du 27 juin 1900 (Paris) mais pas celle du 12 septembre 1974.
Pour comprendre sa position la Guinée Equatoriale fait valoir que la Convention du 27 juin 1900 signée à Paris entre la France et l’Espagne dans laquelle la souveraineté de l’Espagne est reconnue sur Corisco, Elobey Chico et Elobe Grande (article 7), ne confère pas pour autant l’île Mbanié à la France.
Cette Convention lui est plus avantageuse que celle du 12 septembre 1974 signée à Bata, et qui confère, à la lecture de son article 3, la souveraineté sur l’Île Mbanié (pour ne citer que celle-là) à la République gabonaise.
Elle ferait, semble-t-il valoir qu’elle aurait été forcée à signer cette Convention, et dès lors que son consentement aurait été vicié, ce qui à son sens, la rendrait nulle et de nul effet, et ferait automatiquement revivre uniquement la Convention du 27 juin 1900.
Le 5 mars 2021, la Cour internationale de Justice, organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, a été saisie de ce différend par voie de ce compromis, qui a été notifié au greffier de la Cour par l’ambassadeur de la Guinée équatoriale auprès des Pays-Bas, Son Excellence. M. Carmelo Nvono Ncá.
A compter de cette date de notification, une des premières Parties dépose la première pièce de procédure dans les sept mois.
L’autre Partie dépose la deuxième au plus tard sept mois après avoir reçu du Greffier communication de la première de procédure certifiée conforme.
La Partie qui a déposé la première pièce de la procédure dépose la troisième pièce de la procédure dans les cinq mois après avoir reçu du Greffier communication de la deuxième pièce de procédure certifiée conforme.
La Partie qui a déposé la deuxième de la procédure dépose la quatrième pièce de la procédure dans les cinq mois après avoir reçu du Greffier communication de la troisième pièce de procédure certifiée conforme.
La procédure dure donc 24 mois, avec la possibilité d’une prorogation à la demande d’une Partie, sur laquelle la Cour statue conformément à l’article 44 de son Règlement.
Sylvain OBAME,
Avocat à la Cour