À la suite de sa comparution devant le juge d’instruction le vendredi 29 septembre 2023, Madame Sylvia BONGO ONDIMBA née VALENTIN a été inculpée pour des faits de blanchiment de capitaux, recel, faux et usage de faux, faits prévus et réprimés par les articles 116, 117, 312 et 380 du Code pénal gabonais.

Quelques jours avant, son fils Nourredine BONGO VALENTIN et d’autres personnes étaient inculpés pour différents chefs, notamment pour les faits de détournement de deniers publics, complicité de détournement de fonds publics.

Alors que d’importantes sommes d’argent ont été retrouvées dans un bureau qui lui serait rattaché, l’opinion publique gabonaise s’interroge, légitimement, sur l’absence de prévention du détournement de deniers publics dans les chefs d’inculpation de Madame Sylvia BONGO ONDIMBA.

S’il semble difficile de retenir la caractérisation de l’infraction de détournement de deniers publics de prime abord (1), pour éviter toute conclusion hâtive, il convient, néanmoins, d’examiner les circonstances au regard de l’implication de Madame Sylvia BONGO ONDIMBA dans la vie publique (2).

  1. De la difficile qualification de l’infraction de détournement de deniers publics

Les faits de détournements de deniers ou fonds publics sont prévus et réprimés par les dispositions de l’article 141 du Code pénal.

Selon ce texte, « Le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de la peine de vingt ans de réclusion criminelle au plus et de 100. 000.000 de francs d’amende au plus ».

Ainsi, pour qu’une personne puisse être poursuivie au titre de détournement de fonds publics, deux conditions préalables à la commission de l’infraction doivent être remplies.

D’une part, la personne doit être dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, comptable public, dépositaire public ou l’un de ses subordonnés. D’autre part, les fonds doivent avoir été remis à la personne en raison de ses fonctions ou de sa mission.

Madame Sylvia BONGO ONDIMBA remplit-elle ces deux conditions préalables ? Le statut de conjoint du Président de la République, trivialement appelé « première dame », est-il une fonction ou une mission publique, laquelle justifierait la remise de deniers publics à son titulaire ?

A priori, au regard aussi bien des dispositions constitutionnelles, légales et réglementaires en vigueur jusqu’au 30 août 2023 au Gabon, le conjoint du Président de la République n’est titulaire ni d’une fonction publique ni d’une mission de service public. Cette qualité ne donne pas davantage le droit ni à l’occupation d’une telle fonction ni à l’exercice d’une telle mission, bien que rien ne semble s’y opposer dans l’ordre juridique. De même, il ne semble pas davantage qu’un texte justifierait une remise de deniers publics au conjoint du Président de la République en cette seule qualité. Quelle appréciation doit-il être apporté à son implication dans la vie publique ?

  • Quelles conséquences de l’implication du conjoint du chef de l’État dans la vie publique ?

Le conjoint du chef d’État : délégataire d’une mission de service public pour la réalisation d’œuvres caritatives ? Il n’échappera pas aux observateurs de la vie publique que les conjoints de chefs d’État, aussi bien du Gabon comme ailleurs, réalisent généralement des œuvres sociales au cours du mandat présidentiel.

À cet effet, Madame Sylvia BONGO ONDIMBA a créé la fondation Sylvia BONGO, à l’image de sa prédécesseuse Édith Lucie BONGO ONDIMBA, qui avait, en son temps, créé la Fondation Horizons nouveaux et était largement impliquée dans la lutte contre le VIH et les MST.

L’opinion publique peut s’interroger, à raison, sur l’origine des fonds consacrés à ces missions. Ne sont-ils pas des deniers publics ? Le cas échéant, la première dame n’aurait-elle pas reçu une délégation de l’autorité publique justifiant la remise des deniers publics, en vue de la réalisation de ces œuvres sociales ?

La jurisprudence de la Cour de cassation française semble plaider en ce sens.

En effet, dans une affaire dans laquelle la directrice de cabinet d’un maire était poursuivie pour des faits de détournement de deniers publics, la Cour casse l’arrêt d’appel au motif d’une part que les fonctions de directrice de cabinet du maire ne supposaient pas, par elles-mêmes, que des fonds lui soient remis au sens de l’article 432-15 du Code pénal ; d’autre part que la cour d’appel n’avait pas recherché si, au moment de la commission des faits de détournements de fonds publics, la directrice de cabinet du maire ne disposait d’une délégation du maire et ordonnateur de la commune, lui permettant de mettre les factures en paiement, ni si les faits poursuivis pouvaient recevoir une autre qualification[i].

Aussi, si la qualité de conjoint du Président de la République ne suppose pas, per se, que des fonds publics lui soient remis au sens de l’article 141 du Code pénal gabonais, il est de bon sens de s’interroger sur l’origine des fonds affectés aux œuvres sociales réalisées par « la première dame », ainsi que sur l’existence d’une éventuelle délégation de service public à son profit, laquelle justifierait la remise de deniers publics.

Le conjoint du chef de l’État bénéficiaire d’une subvention publique pour la réalisation des œuvres caritatives ? Par ailleurs, il ne faudrait pas écarter que les fonds remis à la première dame pour la réalisation de ces œuvres caritatives pourraient également recevoir la qualification de subvention publique[ii]. Dans ce cas, il conviendra de s’assurer de l’utilisation de ces fonds conformément à leur objet. Le cas échéant, l’utilisation des subventions à des fins étrangères à celles prévues pourrait être constitutive de détournement de deniers publics[iii].

Dans tous les cas, il revient au juge d’instruction d’instruire.

En excluant le détournement de deniers publics des chefs d’inculpation de Madame Sylvia BONGO ONDIMBA, les éventualités résultant de son implication dans la vie publique semblent avoir été écartées ab initio.

Or, si l’instruction doit être menée à charge et à décharge, il est souhaitable qu’elle soit complète, d’une part pour la garantie des droits de la défense, d’autre part, pour une juste réparation de l’atteinte portée à l’ordre public, le cas échéant.

Pour une affaire d’une telle ampleur, alors que l’opinion publique nationale et internationale scrutera de près les suites de cette enquête, le respect des procédures et l’impartialité du juge d’instruction sont la garantie d’un procès équitable.

Pour clore ce propos, bien que cela puisse choquer la pensée populaire, « Tout homme (est) présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable »[iv]. C’est une garantie de l’État de droit, lequel est incompatible avec l’arbitraire. Car, comme l’écrivait Jean Jacques ROUSSEAU, « si j’avais eu à choisir le lieu de ma naissance (…). J’aurais fui surtout, comme nécessairement mal gouvernée, une République où le Peuple, croyant pouvoir se passer de ses Magistrats ou ne leur laisser qu’une autorité précaire, aurait imprudemment gardé l’administration des affaires civiles et l’exécution de ses propres Lois ; (…) tel fut (…) un des Vices qui perdirent la République d’Athènes »[v].

Maître Gaëlle OBONO METOULOU

Avocate au Barreau de Paris, Past-Présidente du RIAG


[i] Cass. crim., 16 mars 2022 n° 21-82.254.

[ii] À titre d’illustration, le 21 août 2017, une Charte de transparence relative au statut du conjoint du Chef de l’État a été publiée par la Présidence de la République sur son site internet. Bien que cette charte n’ait aucune valeur normative, elle a le mérite de rappeler que le rôle du conjoint du Président de la République n’est régi par aucun texte et ne fait l’objet d’aucune rémunération.

[iii] Cass. Crim. 19 décembre 2012, 11-88.190.

[iv] Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, article 9.

[v] J. J. ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, présentation par Blaise Bachofen et Bruno Bernardi, éd. GF FLAMMARION, 2008, pp. 38 et 41.

Un avis sur “Pourquoi Sylvia BONGO n’est-elle pas inculpée pour détournement de deniers publics ?

  1. Comment a-t-elle obtenu tout cet argent retrouvé? Si ce n’est un détournement de fonds? Savons tous quelle était au commande du pays. La preuve, un des DG avait influencé son collaborateur pour un décaissement de fonds en citant son nom comme quoi “même le Président Ali ne pourra rien faire parceque c’est Sylvia qui décide”. Vidéo de Madame Aminata, une des leaders de la Société civile sur l’affaire de malversations financières à la CNAMGS

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