Il est impératif d’adresser une réclamation à l’administration fiscale pour obtenir le remboursement de son Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), après la période d’imputation. Attention, prescription au 31 décembre 2022 du CICE 2017.

En France, différents dispositifs fiscaux créent au bénéfice des particuliers et des entreprises des crédits d’impôt. Il s’agit, plus trivialement, de d’argent dont l’État, par le biais de l’administration fiscale, serait redevable à l’égard du contribuable, particulier ou entreprise.

Le contribuable ne peut réclamer à l’État le paiement de cette créance que pendant une durée limitée. Il en est de même pour les dettes du contribuable à l’égard de l’État. C’est ce qui s’appelle juridiquement la prescription de créance.

Au-delà du temps imparti pour réclamer le paiement, le créancier (ici, le contribuable) n’aura plus juridiquement les moyens de contraindre son débiteur (l’administration fiscale) au paiement. C’est pourquoi il est dit que la dette est éteinte par prescription.

C’est une situation qui peut arriver bien plus souvent qu’il n’y paraît, surtout quand le remboursement du crédit d’impôt nécessite que le contribuable en formule la demande expresse auprès de l’administration fiscale.

C’est notamment le cas du crédit d’impôt compétitivité et emploi (ci-après CICE). Il a été supprimé à partir de 2019 et les entreprises qui n’auront pas pensé à demander le remboursement de la fraction non imputée du CICE au terme de la période triennale d’imputation, pourraient perdre définitivement cette créance.

Initialement, le CICE a été instauré par l’article 66 de la loi de finances rectificatives pour 2012, n° 2012-1510 du 29 décembre 2012. Il a pour objet, en diminuant le coût du travail des salariés rémunérés jusque 2,5 Smic, d’améliorer la compétitivité des entreprises et ainsi de leur permettre de réaliser des efforts en matière d’investissement, de recherche, d’innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés, de transition écologique et énergétique et de reconstitution de leur fonds de roulement.

Ce crédit d’impôt est codifié à l’article 244 quater C du Code général des impôts (CGI), à l’article 199 ter C du CGI, à l’article 220 C du CGI, à l’article 223 O du CGI, ainsi qu’à l’article L172 G du livre des procédures fiscales (LPF).

L’article 86 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 modifié par l’article 155 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 supprime le dispositif du CICE pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2019. Il a été remplacé par un allègement de cotisations patronales. Le crédit d’impôt est toutefois maintenu, au taux de 9%, pour les rémunérations versées aux salariés affectés à des exploitations situées à Mayotte.

Aussi, les entreprises, encore détentrices de créances CICE en 2019, pourront les utiliser pour le paiement de l’impôt dû au titre des trois années suivant celle au titre de laquelle elles ont été constatées et demander le remboursement de la fraction non utilisée à l’expiration de cette période.

Mais, il peut arriver que l’entreprise ait été déficitaire sur plusieurs exercices. De ce fait, le CICE n’a jamais pu être imputé. De plus, aucun remboursement n’a été sollicité de l’administration fiscale.

La présente étude analyse quelles sont les créances CICE dont le remboursement peut encore être réclamé à l’administration fiscale et dans quel délais.

Pour faciliter la compréhension, nous prendrons l’exemple d’une société AGORA, créée en 2015, déficitaire depuis sa création et titulaire de CICE sur la période de 2015 à 2018.

Les montants en cause sont les suivants :
- 2015 : 13 815 euros ;
- 2016 : 25 656 euros ;
- 2017 : 112 187 euros ;
- 2018 : 118 030 euros.

Total : 269 688,00 euros de CICE.

La société peut-elle demander et obtenir le remboursement de la totalité de cette créance ?

Un rappel de la jurisprudence actuelle sur la question des remboursements des CICE (I.), permettra de déterminer les sommes encore exigibles (II). Pour les autres années, le remboursement ne serait pas nécessairement perdu (III).

I. Position de la jurisprudence sur la prescription du droit au remboursement du CICE.

L’ensemble des employeurs exerçant une activité non exonérée d’impôt sur les bénéfices avait droit à un crédit d’impôt, dit CICE, égal annuellement à 4% en 2013, 6% de 2014 à 2016 et 7% en 2018 du montant total des rémunérations individuelles n’excédant pas 2,5 fois le Smic (CGI art. 244 quater C).

Le CICE venait, prioritairement, en déduction de l’impôt sur les sociétés. Si son montant excédait l’impôt dû, la fraction excédentaire était immédiatement payée par le Trésor public aux entreprises qui répondent à la définition européenne des PME, de certaines entreprises nouvelles, des jeunes entreprises innovantes et de certaines entreprises en difficulté.

A l’égard des autres entreprises, cette fraction excédentaire constituait une créance sur le Trésor qui était admise en paiement de l’impôt des trois années suivantes ou, à défaut, remboursable au terme de cette période (article 199 ter C, I du CGI). Dans cette hypothèse, le contribuable devait faire la demande de remboursement dudit crédit d’impôt sur le formulaire 2573 SD.

La position de la jurisprudence sur la question de la prescription du remboursement d’un crédit d’impôt résulte d’un arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles en date du 10 février 2022 [1].

Il convient de préciser que cet arrêt avait été rendu concernant le crédit d’impôt recherche (CIR), lequel est recouvré dans les mêmes conditions que le CICE.

En effet, ce crédit d’impôt, tout comme le CICE, est imputé sur l’impôt dû par le contribuable au titre de l’année au cours de laquelle les dépenses de recherche prises en compte pour le calcul du crédit d’impôt ont été exposées. L’excédent de crédit d’impôt constitue, au profit de l’entreprise, une créance sur l’État d’égal montant.

Cette créance est utilisée pour le paiement de l’impôt dû au titre des trois années suivant celle au titre de laquelle elle est constatée puis, s’il y a lieu, la fraction non utilisée est remboursée à l’expiration de cette période. Le formulaire de demande de remboursement est également le cerfa 2573 – SD, utilisé pour le CICE.

Dans cet arrêt, la Cour administrative d’appel a rejeté différents arguments qui, selon le contribuable, justifiaient le maintien de son droit au remboursement.

D’abord, le contribuable faisait valoir, à titre principal, qu’une créance de crédit d’impôt pour dépenses de recherche étant certaine à compter de la souscription de la déclaration spéciale prévue à l’article 49 septies de l’annexe III au Code général des impôts, son remboursement à défaut d’imputation n’est soumis à aucune formalité particulière et ne saurait être enfermé que dans le délai de la prescription quadriennale de droit commun.

En réponse à ce point, la cour a considéré d’une part que les demandes de restitution de créances remboursables sont formulées de façon formelle sur un relevé spécial et que les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l’administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas de la réalisation de l’événement qui motive la réclamation [2].

La cour a déduit de ces dispositions que, en premier lieu, pour obtenir le remboursement d’une créance résultant d’un crédit d’impôt pour dépenses de recherche, le contribuable doit présenter à l’administration fiscale une demande expresse en ce sens. Une telle demande visant à bénéficier d’un droit résultant d’une disposition législative constitue une réclamation au sens de l’article L190 du livre des procédures fiscales. La déclaration spéciale modèle n°2069-A-SD mentionnée à l’article 49 septies M de l’annexe III au Code général des impôts, que le contribuable avait déposé lors de la liquidation de l’impôt sur les sociétés du groupe, demeure une simple formalité administrative, de sorte qu’elle n’est pas fondée à soutenir que cette déclaration spéciale devrait être assimilée à une réclamation préalable au sens de l’article L190 du livre des procédures fiscales.

En deuxième lieu, la cour a jugé que la recevabilité de la réclamation s’apprécie au regard des seules règles posées par les articles R196-1 et suivants du livre des procédures fiscales. Ces règles ont pour effet d’instituer un régime légal de prescription propre aux créances d’origine fiscale dont les contribuables entendent se prévaloir envers l’État.

En troisième lieu, en application de l’article R196-1 du livre des procédures fiscales, la cour a retenu que le point de départ du délai de réclamation est la réalisation de l’événement qui la motive, lequel est, au cas particulier, la naissance du droit à remboursement de la fraction du crédit d’impôt recherche non utilisée à l’expiration de la période triennale prévue à l’article 199 ter B du Code général des impôts.

Le contribuable avait également fait valoir que l’absence de remboursement automatique de sa créance de crédit d’impôt par l’administration constituerait, à son encontre, une discrimination injustifiée par rapport aux sociétés ayant été en mesure d’utiliser l’intégralité de leur créance soit par imputation, soit par mobilisation de leur créance, et ce en méconnaissance des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel.

La cour a considéré, toutefois, qu’un contribuable en mesure d’imputer une créance de crédit d’impôt recherche sur l’impôt dû au titre de l’impôt sur les sociétés pour les exercices suivants ne se trouve pas dans la même situation qu’un contribuable qui en demande le remboursement à l’administration au terme de la période prévue à l’article 199 ter B du livre des procédures fiscales. Par suite, en raison de cette différence de situation, le moyen ainsi soulevé par la société requérante ne peut qu’être écarté.

En somme, la cour considère que la demande de remboursement d’un crédit d’impôt est constitutive d’une réclamation fiscale contentieuse, dont la recevabilité s’apprécie au regard des seules règles des articles R196-1 et suivants du livre des procédures fiscales.

En application de ces dispositions, le point départ du délai de réclamation est la réalisation de l’évènement qui la motive, lequel est, au cas particulier, la naissance du droit au remboursement de la fraction du crédit d’impôt non utilisée à l’expiration de la période triennale d’imputation. Cette réclamation pouvait être présentée jusqu’au 31 décembre de la deuxième année suivant la période d’imputation triennale [3].

Compte tenu des similitudes dans le régime du recouvrement du CIR et du CICE, à notre avis, cette jurisprudence est transposable en matière de CICE. L’application à l’espèce qui va suivre, permettra de mieux en comprendre la portée.

II. Application de la jurisprudence de la cour à notre espèce.

La société Agora a été déficitaire depuis le début de son activité. Elle n’a donc jamais pu imputer son CICE depuis son premier exercice en 2015.

Ainsi, au terme de chaque période d’imputation triennale, qui suivait l’exercice au titre duquel le crédit d’impôt était né, la société pouvait solliciter le remboursement du crédit d’impôt non imputé. La société disposait de deux années pour solliciter ce remboursement.

A défaut de demande de remboursement, le CICE était définitivement perdu au terme de la 5ème année qui suivait l’exercice au cours duquel il avait pris naissance.

De façon plus pratique, cette temporalité se présente comme suit :

CICE 2015 :
- Période d’imputation sur l’impôt sur les sociétés : 2016 à 2018 ;
- Période de demande de remboursement du crédit d’impôt non encore imputé à l’impôt sur les sociétés : 2019 à 2020 ;
- A compter du 1er janvier 2021, la créance est prescrite et l’administration fiscale n’est plus tenue au paiement.

CICE 2016 :
- Période d’imputation sur l’impôt sur les sociétés : 2017 à 2019 ;
- Période de demande de remboursement du crédit d’impôt non encore imputé à l’impôt sur les sociétés : 2020 à 2021 ;
- A compter du 1er janvier 2022, la créance est prescrite et l’administration fiscale n’est plus tenue au paiement.

CICE 2017 :
- Période d’imputation sur l’impôt sur les sociétés : 2018 à 2020 ;
- Période de demande de remboursement du crédit d’impôt non encore imputé à l’impôt sur les sociétés : 2021 à 2022 ;
- A compter du 1er janvier 2023, la créance est prescrite et l’administration fiscale n’est plus tenue au paiement.

CICE 2018 :
- Période d’imputation sur l’impôt sur les sociétés : 2019 à 2021 ;
- Période de demande de remboursement du crédit d’impôt non encore imputé à l’impôt sur les sociétés : 2022 à 2023 ;
- A compter du 1er janvier 2024, la créance est prescrite et l’administration fiscale n’est plus tenue au paiement.

En conséquence, au 1er janvier 2022, l’administration fiscale restait tenue du paiement uniquement du CICE 2017 et 2018. Toutes les entreprises qui disposent d’un CICE 2017 ont jusqu’au 31 décembre 2022 pour en demander le remboursement. Les années antérieures étant prescrites, l’administration n’est théoriquement plus tenue au paiement pour ces créances.

L’arrêt de la cour administrative d’appel a toutefois laissé une brèche, qui pourrait permettre de récupérer un CICE qui pouvait, de prime abord, être considéré comme prescrit.

III. Brèche jurisprudentielle pour le recouvrement d’un CICE, en apparence prescrit.

L’arrêt de la cour administrative d’appel du 10 février 2022 précité précise que le contribuable qui fait l’objet d’une procédure de reprise ou de rectification au titre d’une année ou d’un exercice peut présenter, dans le délai spécial qui lui est ouvert, une réclamation portant sur le montant des dépenses exposées au cours de cette année ou de cet exercice qui ouvrent droit, selon lui, au crédit d’impôt dont il bénéficie.

Ce principe ouvre la possibilité d’effectuer une réclamation pour des dépenses qui porteraient sur une année pour laquelle le contribuable aurait fait l’objet d’un contrôle fiscal aboutissant par exemple à une proposition de rectification. Cet acte de l’administration fiscale aurait interrompu la prescription et ouvert un nouveau délai de réclamation au profit du contribuable pour l’exercice concerné.

En conséquence, si vous êtes dans une situation dans laquelle vous craignez la prescription de votre crédit d’impôt, un contrôle fiscal survenu sur la période de référence pourrait peut-être sauvé ces créances. Si tel était le cas, il faudrait examiner l’ensemble des actes de cette procédure, afin de déterminer si un délai de réclamation aurait été ouvert pour l’une de ces années.

Par Gaelle OBONO METOULOU, Avocat à la Cour, Docteur en droit

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