À propos de la volonté de dissoudre l’Assemblée nationale
Depuis la dépénalisation de l’homosexualité par l’Assemblée nationale au Gabon, de nombreuses personnalités déçues et scandalisées par le résultat du vote, demandent soit la démission des députés ayant voté en faveur de la dépénalisation soit la dissolution pure et simple de l’Assemblée nationale. Ce souhait exprimé par beaucoup de Gabonais mécontents nous donne ici l’occasion de revenir sur quelques aspects manifestement méconnus de la Constitution gabonaise : le principe de la souveraineté nationale et l’une de ses conséquences, le mandat représentatif.
De la souveraineté nationale
Le principe de la souveraineté nationale est consacré à l’article 5 de la Constitution gabonaise. On peut y lire que « La République gabonaise est organisée selon les principes de la souveraineté nationale, de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, de l’État de droit ». Très simplement, la souveraineté nationale est le principe selon lequel la souveraineté appartient à la nation qui est une entité collective abstraite et indivisible ne se limitant pas aux seuls citoyens vivants. La nation gabonaise inclut en effet non seulement les Gabonais vivants, mais également les Gabonais morts ainsi que les générations à venir. De ce fait, la nation gabonaise est supérieure à la somme des individus vivants qui la composent.
La souveraineté nationale ne pouvant gouverner directement, il est inscrit dans la Constitution gabonaise en son article 3 que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce directement, par le référendum ou par l’élection, selon le principe de la démocratie pluraliste, et indirectement par les institutions constitutionnelles ». Cet article signifie entre autres que les parlementaires participent à la mise en œuvre de la souveraineté nationale.
Le mandat représentatif comme corollaire
Le mandat représentatif est une des conséquences de la souveraineté nationale. Ce type de mandat a été formellement consacré par la Constitution gabonaise au premier alinéa de son article 39 qui, comme la plupart des dispositions de la Constitution gabonaise, est très largement inspirée de la Constitution française. En effet, comme la Constitution française en son article 27 alinéas 1, l’article 39 de la Constitution gabonaise dispose en son alinéa premier que « Tout mandat impératif est nul ». Qu’est-ce que cela signifie ? Des explications sont nécessaires à ce stade.
Avant de s’étendre dans des développements, il convient tout d’abord de signaler aux non-initiés que, inscrire dans la Constitution de la République gabonaise que « tout mandat impératif est nul » signifie que le Gabon a fait le choix du mandat représentatif, car les deux types de mandats sont opposés. C’est soit l’un, soit l’autre. Le Gabon a fait le choix du mandat représentatif en déclarant nul tout mandat impératif.
Le refus du mandat impératif
Cela étant dit, il faut savoir qu’un mandat impératif est un pouvoir délégué à une personne ou à une organisation qui a été désignée afin de mener une action décidée préalablement et selon des modalités précises auxquelles cette personne ou cette organisation ne peut déroger.
En politique, le mandat impératif désigne un mode de représentation dans lequel les élus ont l’obligation de respecter les directives de leurs électeurs sur la base desquelles ils ont été désignés, sous peine de révocation.
Ainsi, dès lors que dans la Constitution gabonaise, il est inscrit au premier alinéa de l’article 39 que « Tout mandat impératif est nul », cela signifie tout simplement que les électeurs gabonais n’ont pas le droit de dicter aux députés leur conduite. Ces derniers, même s’ils sont élus, en fait, dans des circonscriptions correspondant à une portion du territoire, ils représentent en droit l’ensemble de la nation. Les parlementaires ne représentent donc pas les seuls électeurs qui les ont choisis, mais la nation dans son entier. Ce sont « les représentants du peuple », selon l’expression consacrée. L’interdiction du mandat impératif est la conséquence logique de cette conception, car un tel principe reviendrait à contraindre les parlementaires à se soumettre à la volonté de leurs électeurs. Les députés ne feraient alors que traduire la volonté exprimée par les électeurs, sans pouvoir se prononcer en conscience.
En conclusion…
En somme, la Constitution gabonaise a donné aux députés le pouvoir de choisir en conscience ce qu’ils estiment être « bon » pour les Gabonais. Ils n’ont de comptes à rendre à qui que ce soit.
Il résulte de ce qui précède que, plutôt que de souhaiter la dissolution de l’Assemblée nationale ou encore la démission de certains députés, peut-être serait-il plus approprié de demander l’inscription du mandat impératif dans la Constitution gabonaise avec tout ce que cela implique.
Par Jean Marc ESSONO NGUEMA,
Docteur en droit public
Très belle analyse en Droit. De fait, on ne peut vous en faire le grief.
Cependant, la question que pose cette demande, certes « contra léger », et à laquelle ne répond pas votre brillante analyse, est celle de savoir si le PEUPLE, ainsi que vous l’avez vous-même défini, doit se soumettre, sans mot dire ni autre action à mener, lorsqu’il ne se reconnaît pas dans des décisions prises en son nom par ceux à qui il a délégué ce pouvoir?
Merci.
Cher Monsieur,
Je tiens à vous remercier pour le temps que vous avez consacré à lire cette modeste contribution.
En réponse à votre question, d’un point de vue juridique, le peuple a évidemment le droit de manifester et d’exprimer son mécontentement… C’est un droit que la constitution lui reconnait.
Il est également possible de modifier la Constitution pour changer la nature du mandat conférer aux députés…
Au regard des réactions des uns et des autres, il semble que le PEUPLE désir, sans le savoir, la mise en place d’une souveraineté populaire qui a comme corollaire le mandat impératif.
Par Jean Marc ESSONO
S’il est indiscutable que le mandat représentatif donne une latitude au député de décider au nom de ceux qu’ils représente, il est aussi obligatoire que cet élu soit capable de justifier ses décisions, car les raisons doivent être pertinentes. Pour le cas de cette loi querellée, je voudrais comprendre pourquoi le même parlement qui adopté la pénalisation de l’homosexualité l’an passé peut revenir sur sa position. Cela cache des motivations inavouées et peu défendables. En plus, nos députés sont sensés avoir et défendre les mêmes valeurs que nous. Comment justifier que ces derniers aient oublié subitement que l’homosexualité est contraire à nos mœurs?
Je ne crois pas que les députés ont oublié que les bantou que nous sommes sont foncièrement contre l’homosexualité. Pourquoi ont ils voté la depenalisation ? Un jour peut être, on aura les dessous de cette modification législative.
Bien à vous
Maître Jean Marc ESSONO
Bonjour, merci pour cet éclaircissement, vous dites dans vos propos en lisant le droit que le peuple a le droit de protester le député. Mais pour dissoudre l’Assemblée législative, le peuple devra changer le mode d’élection en choisissant le mandat impératif. Vous qui êtes avocat, si le député choisit une loi qui serait mettrait en danger un peuple, le soulèvement populaire n’est-il pas une option.
Bien entendu, monsieur, le peuple demeure libre d’exprimer son mécontentement. Cela fait partie de la liberté d’expression garantit par la constitution.
Quant au soulèvement populaire, étant donné que je vis à l’étranger, je vais m’abstenir de dicter au Gabonais sur place ce qu’il faut faire.
Je vous remercie pour votre compréhension.
Bien à vous
Maître Jean Marc ESSONO